Cours de Mme Marquet et M Viora
Quelles sont les séries d’indices qui permettent de reconstituer les climats passés ?
« La scène se situe en 1965, non loin de la base Dumont d’Urville de Terre Adélie. Au soir d’une journée de carottage particulièrement ratée et pénible, nous prenons l’apéritif […]. Ce jour-là, tentés par le sacrilège, nous glissons dans nos verres des morceaux prélevés au fond de ce maudit forage à une centaine de mètres de profondeur ; ils doivent avoir des milliers d’années… Or les glaçons de profondeur, très compressés, sont particulièrement pétillants […]. Et là, en regardant dans mon verre éclater les bulles d’air libérées de leur pression, j’ai la brusque intuition que la glace pourrait contenir les archives de l’atmosphère. »
Extrait du livre :
Voyage dans l’Anthropocène, C. Lorius, L. Carpentier, Actes Sud.
Les calottes glaciaires, épaisses de plusieurs kilomètres de glace renferment des informations importantes concernant les climats du passé. Les forages qui ont été effectués, en particulier en Antarctique, ont permis de reconstituer des carottes de plus de 3000 m de glace représentant près de 800 000 années d’archives glaciaires.
Les glaces renferment deux types d’informations :
TP1 – Les thermomètres isotopiques et les climats du passé
Outils : le dosage isotopiques de l’oxygène
Les mesures de composition isotopique de l’oxygène (16O et 18O) montrent que la proportion de 18O dans les eaux de pluie et les précipitations neigeuses actuelles diminue avec la température.
Les valeurs mesurées du rapport 18O / 16O dans la glace sont comparées à une valeur de référence connue (le SMOW : eau de l’océan actuel). Le δ 18O (lire delta 18 O) est un outil utilisé par les géologues pour comprendre l’évolution passée du climat ; la notation du δ 18O s’écrit :
Plus il fait froid et plus le δ18O est négatif.
Un autre rapport isotopique est couramment utilisé comme thermomètre isotopique. Il s’agit du rapport (D/H) noté δD. Le deutérium (D) est l’isotope lourd de l’hydrogène de masse atomique 2 (2H). Pour des raisons similaires à celles évoquées pour les isotopes de l’oxygène, on n’utilise pas ce rapport directement mais l’écart δD (en ‰) par rapport à un standard de référence de composition proche de celle de l’océan mondial. Le δD est d’autant plus négatif que la température de formation de la neige est faible.
Le δ18O et le δD sont proportionnels à la température. Les températures dont témoignent ces deux rapports sont celles estimées au niveau des pôles. L’estimation de ces rapports fournit donc des informations sur les températures et leurs variations qui montrent une alternance de périodes glaciaires et interglaciaires avec des cycles de 100 000 ans.
L’analyse des bulles d’air emprisonnées dans la glace permet de corréler ces variations de températures à des variations du CO2 et CH4 atmosphériques. On observe une très bonne concordance de ces variations au Groenland et en Antarctique.
Comment expliquer ces cycles de température ?
Dans les années 1940, le mathématicien serbe Milutin Milankovitch (1879-1958) avance l’hypothèse de l’existence d’une relation entre les variations climatiques et les modifications de l’orbite terrestre. Selon lui, la distance séparant la Terre du Soleil est déterminante puisque l’énergie solaire conditionne les climats terrestres (vu en Enseignement Scientifique de 1ère).
La théorie de Milankovitch (ou théorie astronomique des changements climatiques) permet d’expliquer l’alternance cyclique de périodes glaciaires et interglaciaires. Milankovitch montra qu’une combinaison de trois paramètres orbitaux de la Terre varie de façon cyclique avec une période de 100 000 ans très marquée :
Ces variations cycliques des paramètres orbitaux modifient la quantité d’énergie solaire reçue à la surface du globe. Ces variations ont été amplifiées par des rétroactions positives et négatives –vues en enseignement scientifique– impliquant :
D’une façon plus générale, ces rétroactions sont à l’origine des entrées et sorties de glaciation.
Outils : suivi des rapports isotopiques dans les sédiments marins
On mesure des rapports isotopiques de divers isotopes présents dans les sédiments marins :
– le rapport 10B/11B enregistré dans les carbonates permet de connaître le pH de l’eau qui est proportionnel au taux de CO2 dissous donc au taux de CO2 atmosphérique
– La mesure du rapport des isotopes de l’oxygène δ 18O (18O/16O) dans les coquilles (= tests) calcaires de certains fossiles océaniques (foraminifères par exemple). Les foraminifères sont des organismes unicellulaires planctoniques ou benthiques qui élaborent leur squelette externe calcaire, ou test, à partir des constituants (ions carbonate et calcium) permet également de déterminer indirectement la température au moment de la mort de l’organisme. Pour faire simple, une augmentation du δ18O des carbonates est corrélée à une diminution des températures de l’eau (donc attention, ici δ 18O élevé = eau froide, c’est le contraire de ce que nous avons dit pour δ 18O dans les glaces polaires !).
L’altération des roches, thermostat de la terre (lien vers article Pour la Science)
Un autre rapport isotopique est utilisé : le δ87Sr. Il est également mesuré dans les calcaires océaniques et ce rapport témoigne de l’importance de l’altération continentale. En effet, les roches comme le granite subissent une altération chimique sous l’effet de l’eau chargée en CO2. Les plagioclases se transforment en minéraux argileux comme la kaolinite + en ions calcium (auxquels du 87Sr peut se substituer, comme nous l’avons vu avec le radiochronomètre Rb/Sr) + en ions carbonates, selon la réaction suivante :
CaSiO3 + 2 CO2 + H2O –> SiO2 + Ca2+ + 2 HCO3–
Les ions Ca2+ et HCO3– ainsi formés passent en solution et sont transportés par les cours d’eau. Ils peuvent ensuite précipiter et forment des sédiments carbonatés selon la réaction suivante :
Ca2+ + 2 HCO3– –> CaCO3 + CO2 + H2O
Plus l’altération des roches continentales est importante et plus il y a d’isotopes 87Sr et 86Sr apportés dans les océans et plus ces isotopes sont incorporés dans les calcaires et donc plus le rapport 87Sr/86Sr mesuré dans ces calcaires est grand. Or l’altération continentale se fait au cours de réactions (géo)chimiques qui consomment du CO2 (en effet, le bilan de ces deux équations montre 2 CO2 prélevées dans l’atmosphère –> 1 CO2 fixé dans les sédiments et 1 CO2 restitué à l’atmosphère : il y a donc pompage du CO2 atmosphérique, donc refroidissement). Donc, le rapport 87Sr/86Sr témoigne indirectement de la température. Le document du livret montre l’évolution du rapport dans les roches océaniques depuis 130 Ma.
L’augmentation de ce rapport δ87Sr au cours du temps est synonyme de baisse de température.
TP 2 : Les indices géologiques et les climats passés
On utilise un principe géologique qui postule que les lois régissant les phénomènes géologiques actuels étaient également valables dans le passé : il s’agit du principe d’actualisme.
Lors du maximum glaciaire, il y a 20 000 ans BP, le nord de l’Europe et les Alpes étaient recouverts d’une épaisse calotte glaciaire et le niveau marin était inférieur de 120 m au niveau actuel.
Outils : les indices sédimentaires
Les glaciers façonnent les paysages : ils creusent des vallées à fond plat (vallées en U), ils strient les roches par leurs mouvements d’avancée ou de recul, ils déplacent des blocs de roches (blocs erratiques), ils créent des moraines (amas de roches laissés par les glaciers sur leurs bords latéraux, au fond ou à l’avant des glaciers).
On peut retrouver dans le paysage de nombreux indices d’anciens glaciers et reconstituer ainsi l’extension des glaciers continentaux qui ont façonné les paysages.
Appliqué aux paysages glaciaires, ce principe permet de dire que -par le passé- les glaciers ont façonné les paysages de la même manière que les glaciers actuels le font.
Exemple : glaciations Permo-carbonifères
D’autres indices géologiques donnent des indications sur les climats passés : conditions de formation de quelques roches sédimentaires :
Bauxite et latérite |
Évaporite |
Pétrole |
Charbon |
Tillites et blocs isolés |
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Processus de formation |
Accumulation puis transformation des végétaux continentaux ou littoraux |
Accumulation et compaction de produits de l’érosion glaciaire des continents |
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Contexte favorable |
Climat chaud et humide |
Évaporation intense d’un bassin salé |
Marge continentale à forte productivité primaire |
Bassin continental subsident à forte productivité primaire |
Présence d’une calotte glaciaire ou d’un glacier |
Aires climatiques |
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Polaire |
X |
X |
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Tempéré froid |
X |
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Tempéré |
X |
X |
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Aride |
X |
X |
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Tropical |
X |
X |
X |
Outils : répertorier les zones à fort volcanisme
L’un des évènements géologiques augmentant le taux de CO2 atmosphérique et donc la température, est l’émission de lave. En effet, les larges provinces ignées (LIP) sont de gigantesques coulées de lave liées à un volcanisme de point chaud. Lors de la mise en place des trapps du Deccan (LIP de la limite Crétacé-Cénozoïque), les émissions de CO2 ont été évaluées entre 11 et 200 Gt par éruption, soit 1690 Gt de CO2 en tout pour 2 à 3 millions de km3 de lave émis (Gt : milliard de tonnes).
Un autre évènement géologique augmentant le taux de CO2 atmosphérique et donc la température, est principalement l’accélération de l’expansion des dorsales océaniques.
Outils : modélisation du déplacement des plaques lithosphériques
Le déplacement des masses continentales sous l’effet de la tectonique des plaques a modifié la circulation océanique, fermant certains passages et en ouvrant d’autres. Les climatologues font un lien entre climat et courant océanique :
Des données archéologiques témoignent également des variations climatiques du passé.
TP3 – La paléoflore et les climats du passé
Les grains de pollen observés dans des carottes de sédiments prélevés au fond des lacs ou des tourbières informent sur les couverts végétaux qui ont existé localement.
Les zones de végétation regroupent les espèces végétales ayant les mêmes exigences écologiques et correspondent aux zones climatiques.
L’étude des grains de pollen dans un milieu donné permet d’établir des diagrammes polliniques ou spectres polliniques (image ci-contre). Ces spectres polliniques caractérisent un peuplement végétal à un moment donné dans un lieu donné. On reconstitue ainsi précisément les peuplements végétaux. Or ceux–ci sont étroitement liés au climat en raison des préférences climatiques de nombreuses espèces végétales. Par exemple, une abondance de graminées (paysage de steppes) et un recul des forêts sont associés à un refroidissement et inversement en cas de réchauffement. On utilise pour ces reconstitutions paléoclimatiques le principe d’actualisme déjà utilisé précédemment.
Les outils que nous venons d’étudier sont nécessaires pour reconstituer le climat du passé : il existe des variations de taux de CO2 atmosphérique qui perturbent le cycle du carbone depuis le Paléozoïque, jusqu’à l’actuel, permettent d’expliquer en partie l’évolution de la température mondiale.
La constitution de ces puits de carbone a soustrait à l’atmosphère une partie de son CO2 réduisant jusqu’à une époque récente l’effet de serre sur Terre.
Quiz : Un voyage sur des millions d’années
Notions fondamentales : effet de serre, gaz à effet de serre, cycle du carbone, cycles de Milankovitch, albédo, principe d’actualisme, rapports isotopiques (δ18O),D’environ 1°C en 150 ans, le réchauffement climatique observé au début du XXIe siècle est corrélé à la
perturbation du cycle biogéochimique du carbone par l’émission de gaz à effet de serre liée aux activités humaines.
À l’échelle du Quaternaire, des données préhistoriques, géologiques et paléo-écologiques attestent l’existence, sur la période s’étendant entre -120 000 et -11 000 ans, d’une glaciation, c’est-à-dire d’une période de temps où la baisse planétaire des températures conduit à une vaste extension des calottes glaciaires. Les témoignages glaciaires (moraines), la mesure de rapports isotopiques de l’oxygène dans les carottes polaires antarctiques et les sédiments font apparaître une alternance de périodes glaciaires et interglaciaires durant les derniers 800 000 ans.
Les rapports isotopiques montrent des variations cycliques coïncidant avec des variations périodiques des paramètres orbitaux de la Terre. Celles-ci ont modifié la puissance solaire reçue et ont été accompagnées de boucles de rétroactions positives et négatives (albédo lié à l’asymétrie des masses continentales dans les deux hémisphères, solubilité océanique du CO2) ; elles sont à l’origine des entrées et des sorties de glaciation.Globalement, à l’échelle du Cénozoïque, et depuis 30 millions d’années, les indices géochimiques des sédiments marins montrent une tendance générale à la baisse de température moyenne du globe.
Celle-ci apparaît associée à une baisse de la concentration atmosphérique de CO2 en relation avec l’altération des matériaux continentaux, notamment à la suite des orogénèses du Tertiaire. De plus, la variation de la position des continents a modifié la circulation océanique.Au Mésozoïque, pendant le Crétacé, les variations climatiques se manifestent par une tendance à une hausse de température. Du fait de l’augmentation de l’activité des dorsales, la géodynamique terrestre interne semble principalement responsable de ces variations.Au Paléozoïque, des indices paléontologiques et géologiques, corrélés à l’échelle planétaire et tenant compte des paléolatitudes, révèlent une importante glaciation au Carbonifère-Permien. Par la modification du cycle géochimique du carbone qu’elles ont entraînée, l’altération de la chaîne hercynienne et la fossilisation importante de matière organique (grands gisements carbonés) sont tenues pour responsables de cette glaciation.